- Moi, Martin, 20 ans, zadiste à visage découvert

Posté par admin le 15 décembre 2014

Une maison occupée par les "zadistes" pour empêcher le projet de centre de loisirs du groupe Pierre & Vacances à Roybon, dans l'Isère.

Moi, Martin, 20 ans, zadiste à visage découvert

Le Monde.fr | 14.12.2014 à 10h10 • Mis à jour le 15.12.2014 à 10h16
Un jeune opposant au projet de Center Parcs en Isère explique les raisons de sa présence sur la « zone à défendre » alors que de nombreux riverains, eux, sont favorables au projet.

Par Camille Bordenet (Envoyée spéciale à Roybon, Isère) Journaliste au Monde

Mains enfouies dans les poches de sa large laine polaire élimée, Martin Faverjon, 20 ans, fait le guet devant l’entrée de la « MaquiZad », la maison forestière occupée illégalement depuis le 30 novembre pour bloquer le chantier du Center Parcs dans la forêt de Chambaran, à Roybon (Isère). Ses traits tirés par la fatigue due au manque de sommeil tranchent avec son visage juvénile. « Chaque jour de nouveaux camarades arrivent », dit-il dans un sourire en relevant la barrière en bois taguée « ZAD [zone à défendre] partout » pour laisser entrer un van brinquebalant immatriculé dans le Nord.

« Ici, ça va ça vient, certains ont fait toutes les ZAD, d’autres viennent pour la première fois. On est loin de tous se connaître », explique le jeune Stéphanois. L’étendue boueuse du site est mouchetée de tentes de camping. Dreadlocks et cheveux grisonnants palabrent çà et là.

Presque quinze jours que le noyau dur des zadistes — trente à quarante jeunes opposants — tient le siège. Sans relâche. Si certains ne sont de passage que pour quelques jours, d’autres entendent bien rester jusqu’à ce que le projet du groupe Pierre et Vacances soit abandonné. Depuis le début de l’occupation, chaque matin, à l’aube, des petits groupes s’enfoncent dans les bois pour bloquer les machines et empêcher les ouvriers d’abattre les arbres. Les relations avec les riverains, dont beaucoup sont favorables au complexe touristique — qui doit créer 468 emplois « équivalents temps pleins » et entraînerd’importantes retombées fiscales pour les collectivités locales —, se sont crispées.

Lire aussi : A Roybon, la guerre d’usure entre les partisans et les opposants au projet de Center Parcs

Un "zadiste" monte la garde à l'un des points d'entrée de la "zone à défendre" en forêt de Chambaran, le 4 décembre 2014.
Un « zadiste » monte la garde à l’un des points d’entrée de la « zone à défendre » en forêt de Chambaran, le 4 décembre 2014. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Bon gré mal gré, la conversation se noue donc là, devant l’entrée de la ZAD noyée dans un épais brouillard, les pieds enfoncés dans la boue et les doigts engourdis par le froid. De manière informelle d’abord. Puis Martin accepte de se raconter à visage découvert. De ne pas se présenter sous le pseudonyme de « Camille », en vigueur dans les ZAD — parce que le prénom est épicène et rend hommage à la première militante mise en examen à Notre-Dame-des-Landes. Rémi est désormais l’autre prénom donné quand les policiers les interpellent. « Je suis plutôt pour montrer ma gueule et expliquerpourquoi je suis là. Si on reste sur une position de défiance, on alimente les préjugés et les fantasmes », justifie-t-il. Il souligne parler « à titre individuel, pas au nom du groupe ».

« On n’est pas seulement dans une contestation du système, on recherche, on construit et on propose unmode de vie alternatif. »

Lui est arrivé ici jeudi et compte repartir dans une dizaine de jours. Pas plus. « C’est un combat à plein temps, exaltant mais aussi fatiguant. Il faut savoir se reposer. Pour mieux repartir », estime-t-il. Il n’a, pour l’heure, pas d’autre activité. Son CAP d’ébénisterie ne lui a pas encore servi. Car tant qu’il y aura des « grands projets inutiles et imposés » à combattre, il sera de toutes les ZAD, assure-t-il. Il revient de quinze jours au Testet. Il aurait bien aiméfaire Notre-Dame-des-Landes (NDDL), « la ZAD-mère », mais il était encore « un peu trop jeunot ».

Qu’est-il venu chercher ? « Une expérience de vie en collectivité. Sur les ZAD, on met tout en commun, savoirs et pratiques. On n’est pas seulement dans une contestation du système, on recherche, on construit et on propose un mode de vie alternatif. Ce qui se passe est très positif. » Ce qui lui plaît, aussi, c’est que « toutes les luttes convergent », qu’elles soient environnementales ou sociales. Et que personne ne porte ses revendications politiques en étendard.

Il cite, pêle-mêle, les anarcho-libertaires, les anticapitalistes, les décroissants, les anti-G8, les utopistes, les féministes, les jeunes en rupture sociale, les diplômés, les ex-soixante-huitards, les paysans… « On se retrouve tous autour d’un combat plus grand pour sauvernotre terre, qui est une grande ZAD », résume-t-il. Pas de portrait-robot du zadiste, donc. Plutôt des trajectoires mouvantes et des idéaux pluriels qui s’embrassent sur ces territoires à défendre.

Lire aussi : Des ZAD, mais pour quoi faire ?

Deux activistes à l'entrée de la "zone à défendre" qui entend bloquer un projet de centre de loisirs qualifié de "désastre pour l'environnement".
Deux activistes à l’entrée de la « zone à défendre » qui entend bloquer un projet de centre de loisirs qualifié de « désastre pour l’environnement ». | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Sous la grande bâche noire qui fait office d’accueil, certains réchauffent leurs mains autour d’un feu de fortune, talkies-walkies accrochés au treillis. Aux aguets. Ni eau courante, ni chauffage, ni réseau de télécommunications dans la vieille bâtisse occupée illégalement. Mais le soutien logistique — matériel de construction et de camping — et les réserves de nourriture apportées par des habitants du coin permettent de tenir le siège.

« Bien sûr » que Martin est conscient qu’il n’est pas là par hasard. De leur temps, ses parents — aujourd’hui cantonnier et institutrice — se sont eux aussi « fait défoncer sur les barricades », celles de plusieurs centrales nucléaires. « Alors forcément, avec une familleaussi “babos”, j’ai été un peu conditionné », plaisante-t-il. Il assure être conscient, aussi, que « c’est un luxe de pouvoir contester le système quand d’autres doivent juste y survivre». Il vit de « la débrouille » et de « la récup », mais n’a pas de loyer à payer quand il rentre se reposer dans l’appartement familial, à Saint-Etienne. Alors, oui, il « comprend » le point de vue de certains riverains et leur colère à l’égard des zadistes. Mais il reste persuadé, jusqu’au bout, que ces projets « ne justifient pas de détruire des patrimoines naturels exceptionnels ».

« C’est un luxe de pouvoircontester le système quand d’autres doivent juste y survivre »

Lui-même est loin d’être toujours d’accord avec les décisions prises collectivement ici. Il tient à « garder son esprit critique et du recul. C’est important ». Pour autant, il ne ressort « jamais » d’une discussion, d’un repas ou d’une assemblée générale sans avoirappris quelque chose. On y convoque Marx, les Lumières mais aussi Pierre Rabhi et le Comité invisible. « On s’engueule beaucoup, mais c’est parce qu’il y a une réelle réflexion collective et évolutive. On se nourrit des idées des uns et des autres et on aiguise notre argumentaire.»

Un activiste porte un matelas dans le camp de fortune de la "zone à défendre" de Roybon, Isère.
Un activiste porte un matelas dans le camp de fortune de la « zone à défendre » de Roybon, Isère. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Puis le visage de Martin s’assombrit. Il repense à Rémi Fraisse. « J’étais à cinquante mètres de lui la nuit où il est mort, raconte-t-il. Ça aurait pu être être moi, ça aurait pu êtren’importe lequel d’entre nous, alors c’est un peu nous tous. » Sa voix s’étouffe. « Jusqu’au lendemain matin, on ne voulait toujours pas y croire, on pensait que c’était un coup desmédias pour dissuader les gens de venir sur la ZAD », dit-il. La colère ? « Même pas. Ça a juste renforcé ma conviction qu’on est légitimes à être ici et qu’il faut qu’on y soit, sinon qui ? » La stratégie légale, les recours juridiques ? Il hausse les épaules. « C’est une résistance complémentaire à la désobéissance civile, mais ça ne bloque pas concrètement un projet. »

« On pensait que c’était un coup des médias pourdissuader les gens devenir sur la ZAD »

A Sivens, la confrontation était permanente, « que ce soit avec les riverains, les agriculteurs ou les flics, on était toujours à cran, dit-il dans un soupir, nos relations en pâtissaient ». Lui n’y a perdu que ses affaires et ses papiers d’identité, « cramés par les flics ». Ici, à Roybon, il y a bien eu « quelques heurts », mais l’ambiance est relativement meilleure. Et depuis que les engins de chantier ont baissé les armes, l’heure est à la victoire chez les zadistes.

Martin lève soudain la tête vers ses camarades qui finissent d’échafauder un poste d’observation dans les arbres. « Ce n’est pas encore aussi organisé qu’à la Métairie [le camp des opposants au barrage de Sivens], mais ça commence à ressembler à quelque chose », sourit-il. Les scies rugissent, les marteaux cognent. On construit, inlassablement. « On est des bâtisseurs, pas des casseurs », affirme le jeune idéaliste.

Un activiste, le 4 décembre 2014, devant un point d'accès de la "zone à défendre" (ZAD)  installée dans la forêt de Chambaran pour protester contre un projet de centre de loisirs du groupe Pierre & Vacances, à proximité de Roybon dans le sud-est de la France.
Un activiste, le 4 décembre 2014, devant un point d’accès de la « zone à défendre » (ZAD) installée dans la forêt de Chambaran pour protester contre un projet de centre de loisirs du groupe Pierre & Vacances, à proximité de Roybon dans le sud-est de la France. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/12/14/moi-martin-20-ans-zadiste-a-visage-decouvert_4540284_4497186.html#Ag9SCrOpjlzbb8us.99

Source:

http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/12/14/moi-martin-20-ans-zadiste-a-visage-decouvert_4540284_4497186.html#hIbsGzUsDjiffVkm.99

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