- Center Parc (Isère), super-golf (Landes) : la braderie des espaces naturels au nom de « l’attractivité du territoire »
Posté par admin le 17 mai 2015
Center Parc (Isère), super-golf (Landes) : la braderie des espaces naturels au nom de « l’attractivité du territoire »
Dans ces deux nouveaux Grands Projets Nuisibles portés à notre connaissance récemment, il ne s’agit plus d’irriguer quoi que ce soit, ni d’un aéroport, ni d’un centre commercial géant, ni de parquer mille vaches dans une ferme-usine, mais d’objectifs encore plus élitistes et plus menaçants pour de vastes zones naturelles humides recouvertes de forêts ou de landes : le tourisme haut de gamme. Ces deux cas sont celui du Center Parc de Roybon dans l’Isère et celui de Tosse, dans les Landes. Dans les deux cas, comme d’ailleurs à Sivens et à Notre-Dame des Landes, ce sont des barons locaux socialistes qui portent le projet, au nom du développement local, de l’emploi, et de « l’attractivité du territoire ». Mais je ne doute pas que des barons de droite fassent de même, n’hésitez pas à me les signaler.
ELITISME, PROJETS POUR LES PLUS RICHES
Projets « élitistes » et « tourisme haut de gamme », ai-je écrit. Cela devrait être une question sensible pour des élus socialistes. Henri Emmanuelli défend le projet de golf des Landes, à Tosse (avec tout ce qui va avec : hôtel de luxe, habitations, commerces, dessertes routières…) en évoquant « Palm Spring en Californie » (Politis, cette semaine), un « resort » qui n’est pas particulièrement réputé pour sa fréquentation populaire. Il se défend ainsi : « le monde du golf a évolué, on y voit des pratiquants de toutes sortes ». Je ne doute pas qu’il y ait eu des changements, mais selon la dernière enquête que je connais sur les pratiques sportives des Français, le golf comptait, en 2010, 500.000 pratiquants en France, environ 1 % de la population des plus de 18 ans. Chiffre à comparer avec les 26 millions de Français qui pratiquent régulièrement un sport, avec les 7 millions qui pratiquent un sport de raquette, autant pour les sports d’équipe. Je cite cette étude, qui s’intéresse aussi à la structure sociale des différentes pratiques sportives : « Les sports de riches sont : la voile, les sports d’eau douce (aviron, canoë-kayak), le golf ou les sports d’hiver. » Fermez le ban.
Même histoire pour les Center Parcs, dossier sur lequel le site Basta a publié un excellent article intitulé « Subventions indécentes, destruction de l’environnement, précarité de l’emploi : un « Center Parcs » suscite la colère ». J’en ai repris de courts extraits en annexe, mais lisez le tout. Ces lieux de vacances (dans le cas présent plus de 1000 cottages sur 200 hectares) sont certes en apparence moins élitistes que le golf, surtout celui de haut niveau qu’on veut nous vendre dans les Landes. Mais je fais quand même le pari que plus de 90 % de ceux qui y séjournent (et qui séjourneraient dans celui qui est en projet, plus huppé que la moyenne) font partie des 10 % les plus riches. J’attends un démenti et je m’engage à le publier s’il me parvient. S’agissant de la multinationale Pierre et Vacances, l’élitisme concerne aussi un aspect moins connu mais décisif : le modèle économique de ce groupe repose largement sur une niche fiscale (voir en annexe). Dans Pierre et Vacances, il y a vacances, mais surtout il y a l’investissement dans la « pierre », grosses niches à l’appui. A nouveau, je parie que plus de 90 % de ceux qui profitent de cette niche font partie des 10 % les plus riches.
Voilà pour le qualificatif « élitiste ». Venons-en à l’attractivité.
ATTRACTIVITE, PIEGE A… COLLECTIVITES
Le culte de l’attractivité du territoire est un piège à développement humain, social et écologique. Il est vrai que pour avoir eu deux occasions d’être à la tribune avec Henri Emmanuelli, une fois sur son terrain, une fois sur le mien, je n’ai pas senti vibrer en lui la moindre fibre écologique. J’ignore si cela a changé car c’était avant la « grande crise ». Il m’avait même qualifié de « pessimiste » lorsque j’avais fait état de mon inquiétude sur le monde dans lequel risquaient de vivre mes petits-enfants, en mettant en avant son propre optimisme. Dommage d’ailleurs, car sur bien d’autres aspects de la critique du néolibéralisme, nous étions d’accord.
Quoi qu’il en soit, ceux des élus locaux qui n’ont que l’attractivité à la bouche l’emploient dans un sens bien précis et bien réducteur : attirer des entreprises, des capitaux, mais aussi des touristes « venant de loin », car ceux-là dépensent plus que les autres en moyenne sur le territoire. Et ça, c’est bon pour le « développement local ». Ils sont capables de dépenser des sommes folles (voir l’annexe) pour « attirer » ces acteurs en sacrifiant des patrimoines naturels de grande valeur écologique ou esthétique, cette valeur qui ne se mesure pas en euros.
Or, « une autre attractivité est possible », celle qui fait du territoire un lieu du bien vivre durable, qui le rend attractif pour ceux qui y vivent, qui participent à sa vitalité, qui entendent bien y rester et y travailler, mais attractif aussi pour des visiteurs ou voisins qui y trouvent des beautés (naturelles, bâties et humaines) dont on a pris soin, et des valeurs que l’on partage, à l’opposé des valeurs élitistes à la sauce Palm Spring.
Mais l’emploi ? C’est important non ? Absolument, j’y ai même consacré cinq billets récemment. Or ce que mettent en avant les barons locaux « attractivistes », c’est un nombre absolu d’emplois qu’ils attendent, avec presque toujours un grand écart entre leurs attentes affichées et le résultat final. Or cette façon d’argumenter est socialement, écologiquement et surtout économiquement « insoutenable ». Socialement d’abord, parce que la qualité et la durabilité des emplois sont souvent douteuses (voir l’annexe), d’autant que ces grands élus n’ont aucun pouvoir sur la façon dont les groupes privés investisseurs vont créer et gérer les emplois promis. C’est comme avec le CICE…
Ecologiquement indéfendable ensuite : afficher avec fierté un nombre d’emplois attendus sans se préoccuper de la nature de l’activité et de ses dommages écologiques, cela devrait être désormais proscrit.
Mais surtout, même en ne retenant que le critère de l’emploi il est économiquement stupide de raisonner ainsi, dans l’absolu, sur un seul projet, sans réfléchir au « potentiel en emplois utiles » de la même dépense affectée à divers projets alternatifs. Or les opposants à ces deux projets ne manquent pas d’idées sur ce qui pourrait faire du bien dans ces territoires, sous la forme de dizaines de « petits et moyens projets utiles » dont l’ensemble serait bien plus riche en emplois ayant du sens dans des activités préservant l’environnement et le lien social. Si vraiment ces élus veulent mettre en avant l’emploi (de bonne qualité, utile et soutenable) alors chiche ! Qu’ils mettent en place des groupes de travail pluralistes issus principalement de la société civile : ces derniers trouveront en quelques semaines de quoi créer beaucoup plus d’emplois pour la même dépense publique. Voyez d’ailleurs en annexe les précisions indispensables sur l’économie du projet, le coût public exorbitant par emploi créé, et le fait que tout le modèle économique s’effondrerait s’il ne bénéficiait pas d’une scandaleuse niche fiscale.
ANNEXE : extraits du long article du site Basta sur le projet de Center Parc, par Sophie Chapelle
« Ce qu’il faut retenir, c’est que le projet va générer 468 équivalents temps plein », a récemment déclaré le maire, Serge Perraud, sur France 3 Alpes. Auxquels s’ajouteraient 349 emplois à temps partiel, d’après les chiffres communiqués par Pierre et Vacances. Soit 697 contrats au total. Des promesses d’emplois qui auraient conduit la commune de Roybon à « brader » au groupe 200 hectares de terrain « à 30 centimes d’euros le mètre carré au lieu de 18 euros pour le terrain constructible », selon le collectif Pour Chambaran sans Center Parcs. Le maire refuse pour l’heure de préciser le prix de la vente.
Une bouffée d’oxygène pour l’économie locale ? 48 % des emplois seront dans le secteur du nettoyage. Et certains seront très précaires : douze heures par semaine en moyenne, soit 370 euros par mois… Les collectivités – région Rhône-Alpes, Conseil général de l’Isère, communauté de communes, syndicat des eaux… – misent pourtant sur le projet en débloquant plus de 37 millions d’euros d’argent public.
Les contribuables mettent aussi la main à la poche via les niches fiscales qui permettent au groupe Pierre et Vacances d’attirer des épargnants pour acheter puis louer ses cottages aux vacanciers. Venez « investir dans l’avenir vert » invite ainsi ses dépliants. Acheter des locations meublées permet de bénéficier « jusqu’à 8 333 euros par an de réduction d’impôt pendant 9 ans ». Et ce, grâce au dispositif « Censier-Bouvard », une niche fiscale pour les loueurs de logement meublé que Pierre et Vacances met allègrement en avant pour revendre ses logements 230 000 euros minimum. « Le système permet de bénéficier d’un avantage fiscal de 11 % sur le prix de revient d’un investissement (plafonné à 300 000 €) et d’une récupération de la TVA », décryptent des élus Europe Écologie-les Verts, farouchement opposés au projet. Pour cela, l’investisseur, qui peut être un particulier, doit s’engager à louer son bien pendant 9 ans à un gestionnaire, en l’occurrence le groupe Pierre et Vacances. L’investisseur peut ensuite déduire de ses impôts jusqu’à 3 660 euros par an, et récupérer également la TVA (19,6 % sur la valeur du bien).
L’association d’opposants estime le montant cumulé des subventions publiques directes et indirectes à 113,9 millions d’euros. « Ramené au nombre d’emplois allégué (468 équivalents temps plein), cela donne un ratio de plus de 243 000 euros par emploi, dénonce Stéphane Peron. C’est plus de dix années de salaire payé d’avance, charges incluses : de quoi aider de nombreuses entreprises locales à embaucher du personnel de proximité à temps plein ! ». Le dispositif Censier Bouvard est vertement contesté par les élus et militants EELV. « Ce système a été maintenu par un amendement en séance de M. Cahuzac », dénonce Olivier Bertrand, conseiller général écologiste de l’Isère.
L’amendement au projet de loi de Finance 2013 a en effet été déposé le 14 novembre en séance par l’ancien ministre du budget, seulement quelques jours après avoir reçu en entretien le PDG de la multinationale Pierre et Vacances. « Le lobbying a dû être intense en coulisse », dénonce EELV qui a commandé un rapport sur cette niche fiscale. « Si ce dispositif tombe, c’est le financement même du Center Parc qui s’écroule », assure Olivier Bertrand.
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