- Un an après le drame de Sivens, le dialogue environnemental est en panne
Posté par admin le 27 octobre 2015
Un an après le drame de Sivens, le dialogue environnemental est en panne
Le Monde.fr | 26.10.2015 à 15h18 • Mis à jour le 26.10.2015 à 15h31 | Par Rémi Barroux
Un an après la mort du jeune militant écologiste Rémi Fraisse à Sivens, dans le Tarn, tué lors d’une manifestation contre le projet de barrage par une grenade lancée par les forces de l’ordre dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, la question reste entière : comment éviter qu’un nouveau drame ne survienne à l’occasion des grands projets d’infrastructure ? De l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, au Center Parcs à Roybon en Isère, en passant par les lignes à grande vitesse dans le Sud-Ouest, les oppositions sont nombreuses.
Les réformes du débat public et le renforcement de la démocratie environnementale promises après le drame de Sivens tardent à venir. Et les débats publics autour de certains projets restent grippés.
Bon ou mauvais projet
« Un mauvais projet doit être arrêté rapidement […] et un bon projet doit être mené à bien rapidement », avait assuré le chef de l’Etat lors de la conférence environnementale, le 27 novembre 2014.
Mais qu’est-ce qu’un bon ou un mauvais projet ? Des procédures existent déjà pour évaluer les impacts environnementaux, sociaux et économiques. L’enquête d’utilité publique, lancée par le préfet, d’une durée minimum d’un mois, permet en principe d’informer et de consulter le public à partir d’une étude d’impact. Elle débouche généralement sur une déclaration d’utilité publique, la DUP.
De nombreux dossiers font aussi l’objet d’une saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP), créée par la loi Barnier du 2 février 1995, sur la protection de l’environnement. Cette autorité administrative indépendante a pour mission « d’informer les citoyens et de faire en sorte que leur point de vue soit pris en compte dans le processus de décision ». Quand le coût de ces équipements (création d’autoroutes, de lignes ferroviaires, de voies navigables, d’installations nucléaires, d’aéroports, de gazoducs, de barrages hydroélectriques, d’équipements industriels, sportifs, culturels, scientifiques ou touristiques) dépasse les 300 millions d’euros, la saisine du CNDP est automatique.
Enquête défavorable
Mais ces outils de la démocratie environnementale sont en panne. Les projets de ligne à grande vitesse, dans le cadre du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO), par exemple, ont fait l’objet d’avis défavorables des commissions d’enquête, en mars 2015, doutant notamment de leur « utilité publique ». De son côté, la Cour des comptes avait émis des doutes sur la rentabilité financière de l’ensemble, dès l’automne 2014. Résultat : le 26 septembre, le ministre des transports, Alain Vidalies, a annoncé la validation de ce projet de lignes à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse.
Le sénateur socialiste (Val-d’Oise) Alain Richard, animateur de la Commission sur la modernisation du droit de l’environnement et chargé, en février 2015 par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, de conduire les travaux d’une « commission spécialisée sur la démocratisation du dialogue environnemental », n’est, lui, pas choqué par ce scénario.« L’opportunité d’une ligne TGV n’est pas régie par des textes réglementaires, cela reste à l’appréciation des pouvoirs publics, y compris en surmontant des objections, explique-t-il. Nous ne travaillons pas sur une réforme de la Constitution : c’est le gouvernement qui gouverne et prend ses responsabilités. »
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Cette commission sur la démocratisation du dialogue a présenté ses conclusions en juin. Alain Richard propose notamment d’organiser des procédures de « concertation en amont » sur des préprojets, avant que tout ne soit décidé.
Le président de la CNDP, Christian Leyrit, ingénieur général des Ponts, des eaux et forêts, n’est pas le dernier à déplorer l’inefficacité du dispositif actuel. A l’occasion de plusieurs débatsmenés par cette autorité, il a constaté l’impossibilité de faire évoluer les projets, y compris quand ceux-ci étaient contestés.
« Impératifs de confidentialité »
Le cas du parc éolien en mer de Dieppe-Le Tréport (Seine-Maritime), dont les conclusions du débat ont été présentées au public le 1er octobre, est emblématique. La zone maritime retenue pour ce parc de soixante-deux éoliennes est identique à celle qui avait fait l’objet d’une forte opposition des pêcheurs lors d’un précédent débat public en 2010. « C’est d’autant plus incompréhensible que des concertations approfondies avec les pêcheurs ont permis de trouver des solutions acceptables par tous », écrit M. Leyrit dans ses conclusions.
Dans le cadre de ce débat, la préfecture maritime n’a pas été en mesure, écrit le président de la CNDP, d’indiquer les modalités de la pêche ou son interdiction à l’intérieur du parc. En outre, le maître d’ouvrage n’a pas apporté les éléments économiques et financiers relatifs à son offre, invoquant des « impératifs de confidentialité liés au contexte concurrentiel ». Christian Leyrit prévient donc pour sa part qu’il ne « fera plus de débat dans de telles conditions, où l’on ne peut rien changer, où tout est décidé ».
Autre dossier : les conclusions de deux débats publics sur des projets de Center Parcs, au Rousset (Saône-et-Loire) et à Poligny (Jura), vont être présentées le 3 novembre. Là aussi, les oppositions ont été virulentes. Là aussi, l’information et la confrontation entre les protagonistes ont montré leurs limites. « Un débat public doit porter sur l’opportunité du projet, or un projet de Center Parcs est peu malléable : il correspond à un modèle clés en main peu susceptible d’intégrer les demandes de modifications des citoyens », conclut la CNDP. L’impression de« passage en force » prévaut encore.
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Les associations de défense de l’environnement n’apprécient guère ces contradictions entre la volonté affichée de dialogue du gouvernement et la réalité. France Nature Environnement (FNE) a ainsi boycotté la dernière réunion de la commission Richard, le 14 octobre, qui devait discuter des projets d’ordonnance sur la réforme du droit environnemental. « Pendant que l’on discute dans cette commission, des décisions contraires à l’esprit du dialogue sont prises par le gouvernement, par exemple sur les lignes TGV dans le Sud-Ouest. Manuel Valls sait-il seulement ce que veut dire dialogue ? », s’insurge Denez Lhostis, président de FNE.
« Ce processus peut paraître assez long, mais le fait est que le ministère de l’écologie veut faire évoluer le dialogue environnemental, justifie Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable. C’est un travail de fond et complexe. »
Conflit entre l’intérieur et l’écologie
Un projet de décret de réforme de l’autorité environnementale en région est toujours en phase de rédaction. Il prévoit de transférer celle-ci à une autorité indépendante, alors que le préfet l’exerçait jusqu’alors. Mais ce dernier, dans nombre de dossiers, est aussi maître d’ouvrage, d’où de possibles conflits d’intérêts ou l’impossibilité de réaliser des médiations entre deux positions opposées. Pour se mettre en conformité avec la réglementation européenne, la France doit réformer ce système.
Mais, explique-t-on au ministère de l’écologie, les préfets et le ministère de l’intérieur ne voient guère d’un bon œil la perspective d’être dessaisis de cette prérogative. « L’indépendance de cette future autorité ne peut pas être discutée, et le préfet reste une autorité déconcentrée de l’Etat », explique Mme Monnoyer-Smith.
Les ordonnances et le décret devraient être publiés au début de l’année 2016. Ces nouveaux textes ne changeront donc rien s’agissant des dossiers déjà en cours. « L’effet modérateur qu’apportera cette réforme de la démocratie environnementale profitera aux projets qui sortiront dans les prochaines années », précise le sénateur Alain Richard.
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Rémi Barroux
Journaliste au Monde
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